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Une incitation à porter un regard différent sur notre protection sociale et plus particulièrement sur la bien mal nommée assurance-maladie : il s’agit en réalité d’une authentique assurance-santé tous risques. De même que les habitants d’une belle contrée qui, avec le temps, peuvent négliger de s’extasier sur les paysages qu’ils découvrent chaque matin, nous ne savons peut-être pas faire suffisamment preuve de l’étonnement que devraient susciter les beautés du système bâti en 1945 :
- une assurance qui ne se penche pas sur les calculs de probabilités et les statistiques pour trier sa « clientèle »,
- qui prend tout en charge quelles que soient les causes et les circonstances du sinistre : maladie, accident de la vie courante, agression, sports et loisirs, accident de la circulation… : contrairement à l’assureur privé et en tant que délégataire d’un service public, elle ne peut pas choisir les champs d’intervention les plus rentables et assume en tant que telle les plus problématiques ;
- qui ne dépêche pas systématiquement, avant de verser ses indemnités, des experts avec lesquels il va falloir discuter le bout de gras,
- qui ne se préoccupe pas de nos antécédents médicaux et ne nous met pas sous les yeux au moment de la souscription un questionnaire policier,
- qui ne nous impose pas, sous couvert de relations conventionnelles supposées d’égal à égal, des contrats léonins à prendre ou à laisser en bloc,
- qui ne jauge pas le risque qu’elle prend en nous accordant sa garantie,
- qui ne « malusse » pas les mal-portants et les plus âgés, contrairement à la plupart des « complémentaires santé »,
- qui ne traque pas les comportements fautifs en vue d’ augmenter ses tarifs ou restreindre ses prestations,
- qui n’impose aucune limite contractuelle de temps (la question de la « tacite reconduction » pour la vie entière ne se pose même pas) ni d’indemnisation hormis les règles de calcul posées par le Code et les contrôles exercés par son service médical,
- qui ne nous soumet pas de clauses de bas de page en petits caractères pour nous préciser par exemple qu’on percevra une belle rente ou un beau capital… si et seulement si on est atteint d’une grave incapacité permanente et rien du tout si on n’est pas assez amoché…
- qui, consubstantielle à notre citoyenneté, présente précisément la particularité de s’imposer sans contrat : une assurance obligatoire qui ne nécessite aucune démarche volontaire et le versement d’aucune prime,
- mais qui, pour autant, n’est évidemment pas gratuite.
Son mode de financement est fondé sur une évidence : le fonctionnement de la société est intégralement conditionné par son économie, laquelle doit donc logiquement contribuer à la sécurisation des conditions de vie de ceux qui la font tourner et solidairement de ceux qui sont dans l’incapacité de produire (personnes âgées ou handicapées, chômeurs, enfants, étudiants).
Faut-il s’étonner que l’assurance-maladie connaisse quelques difficultés de financement quand on prend la mesure des risques qu’elle assume ?
Les documents officiels (par exemple celui-ci paru en 2015 à l’occasion du 70ème anniversaire de la protection sociale) insistent lourdement sur la notion d’élargissement des risques, mais sont plus discrets sur la crise des recettes ; en ce qui concerne la première, ils ne sont du reste pas bavards sur certains aspects, singulièrement les dépenses indûment mises à charge de l’assurance-maladie : celles que l’on citait récemment ici en sont un exemple.
Est-ce un point de détail ? À l’évocation du coût social des accidents de la circulation et de leurs répercussions (soins, arrêts de travail, hospitalisations, incapacités définitives), on est en droit de s’interroger sur une bizarrerie de la législation sociale. Les caisses sont admises à récupérer auprès des responsables et de leurs assureurs les frais engagés pour réparer le préjudice corporel des victimes, mais, d’une part, ce recours ne s’exerce que sur les postes de préjudice évalués « en droit commun », autrement dit, en ce qui concerne particulièrement les incapacités, soit sur la base de forfaits résultant de conventions entre assureurs privés et assurance-maladie, soit sur la base de l’évaluation du tribunal lorsque la victime agit en justice. On sait ce que cela signifie quand on a compris que les évaluations accordées par notre justice n’ont rien à voir avec les sommes parfois astronomiques accordées par les juridictions états-uniennes.
Plus concrètement : en supposant par exemple que l’application du barème « droit commun » aboutisse à une estimation de 10000 euros pour une incapacité de travail temporaire ou définitive, l’assurance maladie ne pourra pas aller au-delà de cette somme pour récupérer une rente dont le capital est évalué selon ses propres critères à 20000, ou des indemnités journalières qui lui ont coûté 15000. En d’autres termes encore, la Sécurité Sociale est la plupart du temps plus généreuse qu’un assureur lorsqu’il s’agit de réparer le préjudice corporel.
Autre anomalie : ce recours ne peut pas s’exercer sur le fonds commun de garantie alimenté par les primes d’assurances, destiné à indemniser les victimes (a minima il est vrai) lorsque les responsables ne sont pas assurés ou ne sont pas identifiés. Pourquoi ce fonds ne serait-il pas enrichi pour mieux indemniser les victimes et participer à l’indemnisation des caisses ? Encore une facette de la Sécurité Sociale dans son rôle d’amortisseur tous azimuts de la misère sociale : assumer les conséquences du nombre croissant d’auteurs d’accidents non assurés pour cause de précarité.
On n’affirmera pas sans preuves que nous sommes en présence de l’une des niches du déficit des caisses, d’autant que quelques mesures ont contribué à réparer ces injustices supposées, puisque la Sécurité sociale bénéficie d’une taxe sur les primes et aussi, « en contrepartie des frais qu’elle engage pour obtenir le remboursement » de ses dépenses, d’une indemnité forfaitaire dont le montant est revu chaque année. Il serait intéressant de savoir s’il y a un fossé entre ce que reversent au final les compagnies d’assurances et le coût réel des accidents assumé par la communauté des assurés sociaux.