Dénis de démocratie et droit social : rien de nouveau

L’expression  conquêtes sociales  entrée dans le langage courant nous rappelle que l’amélioration  de nos conditions de vie est une question de renversement de rapport de forces en défaveur des détenteurs des moyens de production et de leurs représentants ou leurs serviteurs affectés à la maîtrise de  la part de richesses consacrée aux dépenses d’intérêt public.

Enjeu parfaitement résumé dans l’ éditorial devenu célèbre de l’hebdomadaire Challenges du 4 octobre 2007, pondu par  Denis Kessler (ex-vice-président du MEDEF, PDG du groupe Scor entre 2002 et 2021)

Adieu, 1945, raccrochons notre pays au monde.  Le modèle social français est le pur produit du Conseil national de la Résistance. Un compromis entre gaullistes et communistes. Il est grand temps de le réformer, et le gouvernement s’y emploie. Les annonces successives des différentes réformes par le gouvernement peuvent donner une impression de patchwork, tant elles paraissent variées, d’importance inégale, et de portées diverses : statut de la fonction publique, régimes spéciaux de retraite, refonte de la Sécurité sociale, paritarisme… A y regarder de plus près, on constate qu’il y a une profonde unité à ce programme ambitieux. La liste des réformes ? C’est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance !

Pour autant, le travail de sape contre les droits sociaux n’a évidemment pas commencé avec le mandat Sarkozy 
La bataille des retraites  a lieu parce que le peuple, au terme d’assauts successifs, a définitivement été privé en 1996 du droit de gérer ce qui lui appartenait en 1946.

La CGT à peine remise des dures épreuves imposées par les dictatures fascistes était placée au centre de notre système de sécurité sociale. Aujourd’hui les organismes qui assurent la gestion de ce bel édifice sont des « entreprises », lieux ordinaires de surexploitation de main d’oeuvre et de précarité au sein desquels peut s’épanouir la plus décomplexée des répressions anti-syndicales ! Comment en sommes nous arrrivés à ce paradoxal naufrage, face à un « Grand remplacement » de tout autre nature que celui que nous annoncent les Houellebecq, Zemmour et autres schizophrènes : celui qu’induit la soumission aux superpuissances économiques ?

C’était avant : la protection sociale à la française : ni assurances privées ni État.
Les systèmes de protection sociale financés par le contribuable sont une spécialité du libéralisme anglo-saxon car le capital épris de liberté quand ça l’arrange ne dédaigne pas que l’ État-providence  s’attelle aux tâches peu rémunératrices et lui facilite la vie.

La France a préféré en toute logique une organisation démocratique : le capital-entreprise est mis en valeur par les travailleurs qui en échange reçoivent une « masse salariale » dont une partie finance leur protection sociale. Elle leur appartient, ils la gèrent à leur guise.
Puis la spoliation est passée par un conditionnement psychologique : l’imposture des « charges » et de la « cotisation patronale », pour faire oublier que toute cotisation sociale est prélevée sur la richesse créée par le travail.

1946 – débuts prometteurs : le ministre Ambroise Croizat supervise l’installation d’un nouveau système et à Perpignan sont implantées une caisse primaire et une CAF dont les salariés ne sont pas des fonctionnaires, contrairement à l’image que persistent à donner les media.

Les administrateurs, d’abord désignés par le syndicat, sont élus par les assurés sociaux. Ils choisissent le personnel de direction, puis létau-État s’est resserré au fil des ans pour, à la fois, imposer son intervention et ouvrir des brèches aux multinationales de l’asssurance : contrôle financier, taux de cotisation et prestations fixés par le gouvernement, recours à une assurance complémentaire, et même pendant une certaine période cotisations détournées des pensions des retraités pour couvrir des dépenses courantes de l’État (20 % du produit intérieur brut), réduction des pouvoirs des conseils et professionnalisation des dirigeants des caisses. Depuis la fin de la guerre, l’administration fiscale ne cesse de rêver de mettre la main sur la collecte.

Les grandes dates du grand assaut : 1967 (pendant les vacances!) les ordonnances Jeanneney imposent le paritarisme (auparavant, les syndicats élisaient deux fois plus de représentants que le patronat), et suppriment les élections, amputant ainsi les administrateurs de leur légitimité. Mai 68 n’a pas changé la donne.

1991 : le gouvernement Rocard invente la CSG.

À LA RACINE DU MAL, LE COUP DE GRÂCE DE 1996  : la loi du 22 février réformant la constitution (retour de bâton du mouvement de 1995), crée une nouvelle catégorie de lois, les lois de financement de la sécurité sociale (lfss) passibles du fameux article 49-3 au même titre que les lois de finances classiques.

En l’absence de contrôle démocratique, ministères et directions nationales ont eu toute latitude pour saborder le service public : désertification et pressurage du personnel sur fond de dématérialisation et de déshumanisation, aboutissement d’un processus engagé au vingtième siècle finissant :  fermeture des structures décentralisées et des bureaux d’accueil (quartiers, Côte Vermeille, Céret, Prades, stations thermales…), suppression des permanences et des relais mutualistes,  désorganisation de l’accueil vieillesse et  économies de personnel en particulier sur les tâches de contrôle entraînant d’ innombrables erreurs de calcul sur les pensions de retraite et porte ouverte à la fraude avec le paiement en aveugle sur la base de décomptes électroniques en masse transmis par les professionnels de santé.

lire Un levier de pouvoir peu à peu confisqué aux salariés Une autre histoire de la Sécurité sociale

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